En 2023 dans les dunes d’Hatainville.
Des dunes d’hier qui ne sont pas celles d’aujourd’hui
Durant la période du quaternaire, ce sont les alternances entre périodes glaciaires et interglaciaires qui vont façonner les paysages littoraux jusqu’à leur donner leur aspect actuel.
Il y a 130000 à 75000 ans avant notre ère, la mer de La Manche venait s’écraser au pied d’une falaise de schiste et de grés bordant la côte ouest du Cotentin. Celle où le village d’Hatainville est implanté. Les températures pouvaient être de 5°C supérieures à celles actuelles avec pour conséquence une élévation de la mer de plusieurs mètres.
De 75000 à 15000 ans, une période d’un intense refroidissement provoque l’abaissement du niveau marin et descend jusqu’à -120 m par rapport à l’actuel entre 30000 et 15000 ans. La mer de La Manche disparait et laisse place à un ensemble de plaines et de bas plateaux rocheux parcourus par un système de fleuves transportant d’importantes masses d’alluvions dont l’embouchure se situe au large de la Cornouaille anglaise et de la Pointe du Finistère. Emerge alors au large de la Côte ouest du Cotentin une vaste surface en pente douce sur laquelle les cours d’eau côtiers apportent des alluvions grossiers et sableux. Les iles anglo-normandes deviennent d’immenses collines qui dominent le paysage dans un climat comparable à celui de l’Alaska et du grand nord canadien.
De 11000 ans à nos jours, le réchauffement s’accentue durant la période de l’Holocène et la Normandie va retrouver progressivement son climat océanique. De 10000 à 9000 ans le niveau remonte de 1 mètre par siècle puis de 10 cm après 5000 ans. Vers 9000 ans le niveau est à – 1m et vers 6000 ans il atteint un niveau proche de l’actuel avec trois périodes de ralentissement au Néolithique, à l’âge du Bronze et à l’âge du fer. Ces épisodes provoquent la formation de marais arrières littoraux en arrière de cordons dunaires souvent accrochés à des cordons de galets. Jersey redevient une ile vers 7500 ans et vers 4000 pour Les Ecrehou. Après l’âge du Fer La transgression marine se poursuit entrainant le recul de la limite du rivage, l’érosion des marais récents et leur recouvrement par des sables marins et dunaires. Nos dunes vont alors prendre leur position actuelle durant l’Antiquité et le haut Moyen âge avec des transferts de sable jusqu’au XIIème et XIIIème siècle.
C’est ainsi que les embouchures des havres de Carteret et de Portbail n’ont cessé de cheminer au travers de l’immensité des mielles. Jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, le littoral est relativement peu habité et les mielles restent des milieux mouvants. Garennes seigneuriales sous la révolution, exploitées en maigres pâtures où on y arrache même le milgreu (l’oyat) pour en faire des brosses et des balais. Elles sont traversées depuis des temps immémoriaux pour accéder au rivage, et exploiter les pêcheries et les carrières, pêcher, récolter la pailleule (la zostère), ramasser du varech ou tout simplement aller à gravage.
A la fin du XIXème siècle, les mielles de la côte ouest du Cotentin vont connaitre un début d’aménagement agricole pour leur mise en culture avec la création de talus, l’assèchement des bas-fonds en canalisant les écoulements pour enfin leur donner un destin balnéaire sur une partie du rivage dès la première partie du XXème siècle. Avec des massifs dunaires qui ne connaitront pas tous le même destin. Les dunes d’Hatainville furent partiellement aménagées par les hommes comme en témoignent les clos des Défens, des Ronds Duval et des Guets mais échapperont de justesse à terme à une urbanisation grâce au classement du site en 1974.
Face au développement de cette conquête du littoral, des politiques publiques de préservation des sites naturels se succèderont tout au long du XXème siècle au sein de zonages spécifiques protégeant ainsi leur paysage et leur biodiversité dans une perspective d’aménagement du territoire qui sera régulée en 1986 par la loi littorale.
Aujourd’hui la mer remonte à nouveau avec tous les problèmes induits. Mais à la différence de cette alternance de cycles qui s’est opérée sur des milliers d’années, le changement climatique que nous subissons de manière accélérée par les activités humaines de l’ère industrielle est sans aucune mesure dans l’histoire de l’humanité. Avec des alertes sur ses conséquences faites par les scientifiques dès les années 70.
Il n’y a qu’à lire le paysage des rivages de la Côte des Isles pour comprendre que les anciens ne s’installaient guère près de la mer comme en témoigne les vieux villages sur la hauteur ou en pied de la falaise morte. La mer ronge inexorablement nos côtes sableuses, et les problèmes d’érosion se sont amplifiés là où les aménagements ont créé des points durs, en signant au fil des ans la disparition des plages à ces endroits. Les digues érigées dans les havres ont créé des polders qui sont aujourd’hui partiellement urbanisés et classés aujourd’hui en zones submersibles. Face à ces menaces l’Etat a mis en place des Plan de Prévision des Risques Littoraux.
Les changements climatiques pour la Région annoncés par le GIEC Normand se manifesteront par une augmentation de 20% à 30 % de précipitations en plus en hiver avec des épisodes tempétueux réguliers et des étés de plus en plus secs. Ainsi, les remontées de nappe phréatiques seront accentuées et plus fréquentes notamment avec la remontée du niveau marin qui bloquera d’avantage l’écoulement de ces nappes. Des problèmes de salinisation se feront inexorablement sentir et il reste à craindre la conjoncture de différents phénomènes.
Mais face à la mer, les milieux naturels dunaires préservés sont les plus adaptés au changement climatique et à l’élévation du niveau marin. Ainsi, sans enjeux humains en arrière du cordon, laissons faire la nature le long de la grève d’Hatainville en accompagnant ses mouvements aux principaux accès à la plage. Et dans un contexte d’effondrement de la Biodiversité, la gestion conservatoire menée par le SyMEL depuis près de 30 ans au chevet des dunes de la Côte des Isles nous apporte des résultats encourageants pour la restauration et la reconquête de la faune et de la flore dans des milieux naturels dégradés.
Alors en 2023 dans les dunes d’Hatainville, pour nous aider dans ces actions de préservation et de résilience, les jeunes volontaires européens de l’Association Avril basée à Coutances sont venus prêter main forte pour la restauration des clôtures, les étudiants en BTS Gestion et Protection de la nature ont agi en faveur de la restauration et de la conservation des zones humides tandis que ceux de l’université de Jussieu Paris VII ont poursuivi des suivis sur les insectes. En 2024, l’intégration des suivis scientifiques menés sur le site naturel au programme régional « Sentinelles du Climat » permettra de poursuivre l’évaluation des effets du changement climatique sur ces dunes d’exception.
Cette année, la découverte dans les dunes de Carteret et d’Hatainville, du conocéphale gracieux et du méconème méridional deux espèces de sauterelles est un indice supplémentaire de ces évolutions.
La tenue du comité de gestion aux Moitiers d’Allonnes le 20 octobre a permis de dresser un bilan de la gestion menée avec de nombreuses limites. Pas de doutes il faudra s’adapter.
Yann MOUCHEL
Garde du littoral -SyMEL Côte des Isles
Phare du Cap de Carteret – yann.mouchel@manche.fr –
Syndicat Mixte Espaces Littoraux de La Manche
Maison du Département – 50008 SAINT LO cédex